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Liv-ex Rencontre Bernard Magrez

By June 2, 2017Francais

Bernard Magrez

Bernard Magrez est Propriétaire de quatre Grand Crus classes Pape Clement, La Tour Carnet, Fombrauge and Haut-Peyraguey. Anthony Maxwell directeur chez Liv-ex l’a rencontré récemment pour l’interroger sur son parcours et le développement de ses marques, le marché bordelais et la campagne primeur 2016. Cliquez ici pour accéder à la version anglaise.

Commençons par votre carrière. Comment êtes-vous entré dans le marché du vin?

Au début, j’ai rejoint Cordier. J’ai commencé par travailler dans les caves avant de passer dans les bureaux. Ensuite, j’ai été licencié – je ne m’entendais pas avec les deux directeurs.

Après avoir quitté Cordier, un banquier m’a prêté de l’argent pour que j’achète une petite entreprise spécialisée dans le vin de Porto à Bordeaux – j’ai eu de la chance. Nous importions le Porto en tonneaux, nous le mettions en bouteille le soir puis nous le vendions le lendemain à des restaurants, des bars et de petites boutiques. Au début, nous produisions environ 12 000 bouteilles de Porto. Nous étions une petite entreprise de seulement trois personnes.

À cette époque – c’était en 1962 – les hypermarchés et les supermarchés commençaient à ouvrir très rapidement en France. Je voulais vendre mon Porto, qui n’était pas une marque établie, dans ces magasins. Je n’ai eu de cesse de retourner les voir – encore et encore – jusqu’à ce qu’ils disent oui. Bientôt, je me suis mis à vendre du Porto partout en France.

Après le succès du Porto, j’ai lancé une marque de whisky écossais. Il arrivait par camion-citerne et nous le mettions en bouteille en France. C’est devenu la marque William Peel. Nous étions les numéro un en France, devant Johnny Walker. J’ai ensuite commercialisé une Tequila, la San José. En 2004 la part de marché de notre Tequila en France était de 64 %.

Dans les années 90, j’ai créé la marque de vin de Bordeaux Malesan. Lorsque j’ai vendu l’entreprise, nous vendions 11 millions de bouteilles en France. Nous comptions parmi les leaders du marché. Ensuite, j’ai acheté une marque de vin algérien baptisée Sidi Brahim qui est très connue en France. Nous produisions des millions de bouteilles.

Qu’est-ce qui vous a donc amené à vous intéresser aux crus classés?

En 2004, j’ai compris que l’avenir de l’entreprise résidait dans les marchés à l’exportation, en particulier en Suisse, en Belgique et au Royaume-Uni. Pour vendre sur ces marchés, il m’aurait fallu investir pour avoir du personnel de vente sur le terrain, ce qui aurait coûté très cher. À cette époque, je commençais seulement à prendre conscience du pouvoir du système des négociants qui n’est autre que de distribuer du vin de Bordeaux partout dans le monde.

À peu près à la même époque, je m’intéressais à ce qu’il se passait parmi les crus classés de Bordeaux, alors avec l’argent que m’avait rapporté la vente de vins et de spiritueux, j’ai acheté des crus classés. J’avais déjà fait l’acquisition d’environ 4.5 % de Pape Clément à ce moment-là et ma priorité numéro un était d’obtenir le reste – 100 % – du château.

Ensuite, j’ai acheté La Tour Carnet, qui n’était pas en très bon état. Puis j’ai fait l’acquisition de Fombrauge. C’est une propriété de 60 hectares alors qu’à Saint-Emilion la moyenne est de 13-14 hectares, et elle a bénéficié d’un reclassement en Grand Cru Classé en 2012. J’en ai alors fait une marque mondiale. Je possède maintenant 120 hectares et produis 550 000 à 600 000 bouteilles du grand vin chaque année.

Cela me faisait donc au total trois grands crus classés. Rothschild en possédant trois, il m’en fallait quatre. En décembre 2012, j’ai donc acheté un premier Sauternes classé, Clos Haut Peyraguey.

Plus récemment, j’ai acheté des vignobles en Languedoc, Roussillon, Provence, Côtes-du-Rhône, et j’ai récemment essayé d’acquérir un vignoble de Châteauneuf-Du-Pape mais les pouvoirs publics ne m’ont pas autorisé à le faire. Ils disent que leur objectif est de protéger les jeunes viticulteurs. Je finirai par m’y implanter. Je possède également trois vignobles en Espagne, et un au Portugal, en Uruguay, en Argentine, au Chili, au Japon et au Maroc.

L‘Angleterre vous intéresse-t-elle ? Et la Chine?

Je ne possède rien en Angleterre pour le moment. J’ai tenté d’investir dans le Kent par le passé, mais cela n’a pas abouti. Il y a dix ans, je possédais un vignoble à Quingdao, en Chine, au bord de la mer de Chine. Je faisais un vin blanc extraordinaire avec un riesling italien. Je pense retourner en Chine très bientôt.

Envisagez-vous d’acquérir d’autres châteaux classés grands crus?

Si j’en achète un cinquième, il doit être de la stature du Pape Clément. L’acquisition d’un château du niveau de La Tour Carnet n’apportera rien à mon activité.

Combien de propriétés et de marques possédez-vous actuellement dans le monde?

Nous en avons 42 entre la France et le reste du monde, soit 42 marques – généralement des noms de domaines ou des châteaux.

Le Château Pape Clément, qui se situe dans le haut de votre gamme, est-il un produit de luxe?

Non, il reste un produit culturel avec une histoire. Nous misons beaucoup sur l’histoire de nos vins (implanté en 1252, c’était la propriété du Pape…). Cela ne nous intéresse pas qu’il soit comparé à un produit de luxe.

Donc, est-ce la marque Pape Clément plutôt que la marque Bernard Magrez qui compte le plus?

Notre stratégie est de faire apparaître le nom de Bernard Magrez et les clés sur toutes les bouteilles. Maintenant, plus que jamais, les gens veulent savoir qui est le propriétaire ou le vigneron. Nous sommes une société éponyme dans le sens où elle porte mon nom. En France et ailleurs, toute la communication est basée sur le nom Magrez.

Bernard Magrez Keys

Comment voyez-vous le millésime 2016?

Comme tout le monde ! C’est un très bon millésime. De façon générale, les producteurs ont fait un petit peu plus de volume, mais seulement 10 % pour nous car nous avons fait une sélection.

Comment déterminez-vous le prix?

Nous voulons que les gens considèrent que nos vins sont d’un bon rapport qualité-prix : des vins qui sont réputés pour leur qualité – grâce aux critiques – et qui sont proposés au juste prix. Pour définir un prix raisonnable, j’écoute les courtiers à Bordeaux, les dix premiers négociants, et dans chaque pays nous consultons notre équipe commerciale pour savoir ce que leurs clients sont prêts à accepter.

Sur l’ensemble de votre gamme de Bordeaux en primeur?

Oui, ce qui fait un total de 12 vins.

Est-ce que le fait de parler aux courtiers et aux négociants est vraiment une manière transparente de fixer les prix?

Non, ce n’est pas une science exacte. Ce n’est qu’une manière d’envisager les choses. Nous nous mettons d’accord avec nos équipes commerciales à l’étranger, mais nous nous fions également à notre intuition. Nous ne regardons jamais les prix pratiqués par nos voisins.

Si je comprends bien, pour le Pape Clément 2016, vous regarderez quels sont les prix pratiqués aux États-Unis, en Angleterre et en Asie? [Cette question a été posée avant la commercialisation du vin]

Ce sont les distributeurs qui le font. Leurs calculs ne m’intéressent pas, mais je respecte leur proposition.

Le négociant et le distributeur doivent gagner leur vie, et les fluctuations de prix doivent être minimes.

Il y a 20 ou 30 ans, les amoureux du vin ne s’intéressaient qu’aux Bordeaux. Aujourd’hui, il y a d’autres régions qui intéressent les acheteurs, et il y en aura d’autres à l’avenir. Il ne s’agit donc pas simplement d’une bataille opposant des Bordeaux à des Bordeaux, mais d’un affrontement entre les Bordeaux et les autres. Il est important de voir le marché de cette manière.

Selon vous, pourquoi les collectionneurs achètent-ils des Primeurs?

Pour moi, un collectionneur est quelqu’un qui apprécie un certain vin, qui veut en avoir une ou deux caisses chaque année et veut être certain qu’il l’achète à un prix raisonnable.

Mais qu’est-ce qu’un prix raisonnable?

C’est le prix que le consommateur est prêt à payer. S’il estime qu’il est trop élevé, il n’achètera pas. Et c’est la vie ! Notre patron, c’est le client qui pose une bouteille sur la table pour la boire avec ses amis.

Comment choisissez-vous le moment de commercialiser vos vins?

Choisir le bon moment, c’est ce qu’il y a de plus difficile. L’idéal est d’arriver juste derrière quelqu’un pratiquant un prix délirant, mais parfois on ne choisit pas ce moment.

Le Pape Clément est l’un des vins de Bordeaux qui enregistre les meilleurs résultats. Comment expliquez-vous une telle réussite?

Le Pape Clément a une image historique – le premier millésime remonte à 1252. Il possède également un terroir vraiment exceptionnel situé pratiquement en plein cœur de Bordeaux, qui accueille de nombreux visiteurs.

Nous proposons une académie, des cours de dégustation et nous avons également fait l’acquisition de startups telles que B-Winemaker qui intéressent les gens. Ainsi, au cours des 11 dernières années, nous avons bien profité du tourisme viticole.

Pour être précis, j’ai commis une erreur en ne baissant pas suffisamment les prix des millésimes 2006, 2007 et 2008 après 2005. En 2009, tout le monde vendait bien ; en 2010, Parker nous a attribué la note de 100/100, donc tout s’est vendu.

Notre stratégie a des faiblesses : nous voulons tout vendre, alors nous augmentons le nombre de points de vente de nos vins, et le nombre de clients mondiaux, ce qui fait augmenter la demande – et pourtant nous n’avons pas suffisamment de stock!

Votre stratégie restera-t-elle la même? Certains châteaux décident, par exemple, de réduire l’offre pour faire augmenter les prix.

Oui, je ne veux pas la changer. À une époque, les principaux châteaux ont accompagné la spéculation autour des Bordeaux, mais aujourd’hui cela nuit à la marque. Je ne pense pas que la spéculation soit aussi forte que par le passé, c’est pourquoi j’ai décidé de répondre à la demande du consommateur et de mettre le vin sur le marché.

Prenez le Clos Haut Peyraguey, par exemple. Nous l’avons commercialisé à 90 % en primeur. Il nous importe plus de vendre le vin aux clients que de restreindre l’offre pour encourager la spéculation. Ma stratégie est de veiller à la liquidité du marché avec des prix conformes à la réalité.

Pensez-vous que les consommateurs espèrent que le vin qu’ils achètent prendront de la valeur?

Les gens ne boivent plus de vieux millésimes de Pape Clément, de la Tour Carnet ou de Fombrauge. Aujourd’hui, ils boivent des vins relativement jeunes de trois, quatre ou cinq ans, même si c’est différent dans certains pays comme l’Angleterre ou les États-Unis.

Selon moi, certains dans le bordelais font erreur en pensant que les prix peuvent continuer de grimper. Cela s’est produit avec des très grands vins en raison de la demande de la Chine, mais cela ne se reproduira pas.

Si les prix de mes vins continuent d’augmenter, ce ne sera pas parce que j’ai gonflé leur prix, mais parce que les produits se vendent bien.

Pourquoi pensez-vous qu’ils augmentent leurs prix à une telle vitesse?

C’est une question d’ego et de course aux profits. Ils veulent juste avoir des prix plus élevés que leurs voisins.

Vous dites que la chaîne d’approvisionnement des primeurs est tendue. Selon vous, est-ce que cela présente des risques?

Je ne pense pas que cela représente un risque particulier. Nous vendons 100 % de notre production aux négociants et avons sept salariés à l’étranger qui travaillent avec eux et avec leurs clients. Le budget que nous consacrons aux dîners œnologiques est très important, et mettons tout en œuvre pour que les meilleurs vendeurs des meilleurs distributeurs viennent à Bordeaux à nos frais afin qu’ils puissent découvrir les vins.

Qu’avez-vous à dire sur la campagne 2010, qui a été marquée pas des annulations inattendues?

C’était dramatique!

Je peux me tromper, mais je pense que nous devons adopter une stratégie qui puisse évoluer avec le marché. Les vins Magrez sont réputés, les critiques sont bonnes et nous mettons sur le marché des vins au bon prix, et au bon moment.

Nous espérons que les principaux distributeurs et les meilleurs vendeurs puissent venir visiter ces quatre grands crus classés (ce qu’il est possible de faire en une journée grâce à notre hélicoptère). Cela représente un budget très important, mais c’est ce qui permet de tout vendre.

En tant que producteur, comment voyez-vous le rôle de Liv-ex ?

Nous suivons en permanence les prix Liv-ex. Je positionne mes vins en fonction de la dernière transaction, même si je n’ai pas beaucoup de vins livrables.

Les négociants consultent Liv-ex pour essayer de vendre au juste prix – enfin, du moins les plus gros le font.

Je suis également les études – les blogs et les travaux de recherche.

Les lisez-vous ?

Absolument. Je les lis et je demande aux autres de les lire également.

Que pensez-vous du fait que vos vins soient vendus sur Liv-ex?

C’est idéal. C’est également fantastique lorsque Liv-ex rédige un article sur le Pape Clément, comme cela a été le cas il y a deux mois.

Si je comprends bien, vous adhérez à l’idée que vos vins soient vendus sur Liv-ex?

C’est le rêve!  Que vous répondre d’autre?

Eh bien, d’autres ne sont pas de cet avis…

Tant mieux ! C’est leur problème. Moins ils connaissent le marché de leurs vins, ou d’autres vins, mieux c’est pour moi.

Parker, comme vous l’avez dit, a donné un coup de pouce à vos ventes en 2010. Comment voyez-vous le rôle des critiques à l’avenir maintenant qu’il a pris sa retraite ? Pensez-vous que cela aura un impact sur la spéculation?

Je pense qu’il y aura moins de spéculation. Les notes de 100 sur 100 attribuées aujourd’hui n’ont pas la même valeur que celles qu’attribuait Robert Parker. Actuellement, il y a quatre ou cinq grands critiques comme Suckling ou Galloni. Il est clair que les négociants regardent la moyenne des notes attribuées par ces cinq critiques ainsi que la compétitivité des prix.

Quel est l’avenir du groupe Bernard Magrez?

Notre objectif est d’atteindre une demande 30-40 % supérieure à notre production pour les ventes En Primeur. J’aimerais également qu’un maximum d’amoureux du vin fassent confiance à la signature Bernard Magrez – que ce soit pour les vins classés ou pour d’autres vins de Bordeaux. Cela me permettrait de pérenniser mon activité et peut-être, un jour, de produire deux ou deux millions et demi de bouteilles d’un premier ou d’un second vin d’un grand cru classé.

Lorsque les courtiers disent que Magrez vend tout, c’est une stratégie différente. Le fait que ma stratégie soit raisonnable est une source de frustration pour les autres propriétaires de châteaux. On ne peut pas m’aimer.

Qu’en pensez-vous?

Cela ne me fait rien ! Je suis conscient de mon âge. Bientôt ce sera ma fille – qui se rend aux États-Unis cinq fois par an, tout comme je vais en Chine cinq fois par an – qui reprendra le flambeau.

Vous n’avez donc pas commencé à réduire vos horaires de travail?

Je n’ai aucune raison de le faire ! Je fais de l’exercice tous les matins, puis je mange et je bois, comme tout le monde. Nous sommes des êtres voués à la finitude. Chacun de nous est amené à mourir. Je le sais et cela ne me fait rien. Ma fille, qui est déjà prête, me succèdera. Cela fait 20 ans qu’elle travaille à mes côtés, ce qui n’est pas évident car je ne suis pas d’un tempérament facile, loin de là!


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