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Notice sur les primeurs : le futur arrive en avance

By May 7, 2019Francais

Les gens ont toujours été fascinés par l’inconnu. Cette curiosité les pousse à spéculer sur ce qui pourrait se profiler à l’avenir. Dans le monde du vin, non seulement l’avenir est prévisible, mais en plus, à Bordeaux, il arrive en avance.

Les primeurs, ce “marché à termes du vin”, est une tradition de longue date. Né en France, le système mêle depuis plus de 60 ans amour du vin et logique de marché.

Après la Seconde Guerre mondiale, le commerce du vin en France a été durement secoué. Ses producteurs, à la peine financièrement, mirent du temps à se remettre de plusieurs années de conflits. A Bordeaux, les négociants en vins les plus influents du moment ont commencé à acheter en primeur.  Ils ont décidé d’acheter du vin dans les meilleurs châteaux alors qu’il était encore en fût, et parfois même avant la récolte, dans l’espoir d’avantages qualitatifs et quantitatifs.

Le système permettait aux négociants une mainmise sur les prix et l’obtention des volumes souhaités à des prix intéressants. Dans le même temps, cela fournissait une trésorerie immédiate aux châteaux, les aidant ainsi à pallier leurs difficultés financières.

La situation a bien évolué depuis. A partir des années 80, 90, la demande croissante de grands vins, de Bordeaux en particulier, a fait que le rapport des forces est revenu aux châteaux. Depuis cette époque les producteurs ont absorbé une part de plus en plus importante des bénéfices.

Dans le système des primeurs, la propriété des grands bordeaux passe des châteaux aux négociants, puis aux marchands, et enfin aux clients ou collectionneurs finaux et ce, sur une période de 18 à 24 mois. Chacun espère que le prix augmentera sur cette période afin de donner aux collectionneurs une raison d’acheter.

Entre 1994 et 2005, le prix demandé par les châteaux représentait 50 % de la valeur du vin au moment de sa sortie physique. Cela laissait beaucoup de marge pour que les négociants, les marchands et les collectionneurs finaux puissent en tirer profit.

Depuis 2006, toutefois, la part des châteaux est passée à 70 % en moyenne. Cela a accru le risque pour le reste de la chaîne et a réduit l’incitation à acheter. Si le stock reste dans la chaîne, les collectionneurs peuvent trouver des vins âgés aux prix de sortie d’origine, voire moins chers. Les millésimes 2006 et 2011 en sont des exemples clairs.

Nombreux sont ceux qui pensent que l’intérêt des primeurs s’estompe, pourtant, le marché et les critiques retrouvent chaque millésime avec un enthousiasme visible. Si la part de cet enthousiasme qui est suscité par la dégustation diffère de l’appétit d’achat réel, les millésimes “exceptionnels”, comme le suggèrent les chiffres, ont tendance à être très demandés, pour peu que leur prix soit raisonnable.

Les meilleurs producteurs des autres régions ont suivi les traces bordelaises en adoptant son modèle de sortie anticipée. Cela est vrai pour les producteurs de Bourgogne, de la vallée du Rhône, de Porto, d’Italie, d’Espagne et du nouveau monde. Cependant des facteurs spécifiques à chaque région en conditionnent souvent le succès. La rareté et l’exclusivité des meilleurs vins de Bourgogne, par exemple, font que les allocations (la possibilité d’acheter à la sortie) sont très recherchées.

Néanmoins, les primeurs bordelaises restent relativement uniques et font office de système de référence dans sa forme la plus pure et la plus reconnue. La région attire l’attention des agences de presse spécialisées pendant plus de deux mois chaque printemps. Le volume et la valeur du vin (jusqu’à un milliard de dollars) sortant en primeur à Bordeaux sont sans comparaison dans le reste du monde. Les cinq premiers grands crus classés génèrent à eux seuls entre 400 et 600 millions de dollars de ventes.

Lors d’achats en primeur, le vin sera mis à disponibilité et expédié à une date ultérieure. A l’arrivée au Royaume-Uni, les taxes étant payables à la livraison, les marchands britanniques stockent généralement le vin dans un entrepôt sous douane. Les bordeaux ont souvent, en fonction de leur qualité, une fenêtre de consommation allant de 5 à 50 ans, voire plus.

Le système des primeurs offre un aperçu du futur du millésime. Il y a un charme à appréhender quelque chose tôt, à le voir se développer, à coexister avec lui. Les primeurs sont pour un collectionneur le début de ce qui pourrait être un long voyage viticole.

Pour une analyse du marché de la campagne primeur de cette année, consultez notre rapport spécial Bordeaux 2018 – En équilibre.