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Retour sur les Bordeaux 2010 : le millésime de la patience

By February 19, 2020Francais

Histoire du millésime

L’histoire du millésime 2010 ne peut pas être expliquée sans évoquer 2009 que Robert Parker déclare d’emblée à l’époque considérer comme le meilleur millésime jamais dégusté dans sa carrière de critique. L’« effet Parker » amène alors sur le marché des participants auparavant inactifs, ceux-ci cherchant à se procurer ce que le critique considère comme l’excellence. En conséquence, les vins de 2009 se retrouvent rapidement vendus sur le marché secondaire moyennant un supplément et ils se répandent ainsi entre des mains avides.

C’est donc dans ce contexte que le millésime 2010 fait son apparition. Il s’agit, une fois n’est pas coutume, d’un millésime très attendu, car la sécheresse de l’été a le potentiel de donner naissance à des vins riches en alcool, en acidité et en tanins : conditions préalables à un vieillissement à long terme. Les Châteaux voient en cela l’occasion de commercialiser les vins de 2010 à un prix plus élevé dès leur sortie (5 à 20 % d’augmentation par rapport aux prix de sortie de l’année précédente). Mais, alors que les caves sont pleines des vins de 2009, les acheteurs tout juste sortis de l’ombre pour se procurer le millésime 2009 vont rester sur la réserve vis-à-vis du millésime 2010, tandis que les spéculateurs, encore obnubilés par les rendements de 2009, s’empressent de s’emparer de grandes quantités de ce nouveau millésime.

Malheureusement, plus tard cette année-là, commence le retournement du marché de la mi-2011, aujourd’hui bien documenté. La spéculation ne portera donc pas ses fruits et les vins de 2010 se retrouvent à nouveau sur le marché, à des prix plus bas que jamais. Alors que les collectionneurs, désireux de goûter le millésime préféré de R. Parker, se sont réparti les vins de 2009 pour les garder dans leur cave jusqu’à la fin du déclin enregistré par le marché, les vins de 2010, ne suscitant pas les mêmes sentiments, feront eux baisser les bilans.

Performance sur le marché

Aujourd’hui, comme le montre le graphique 1 ci-dessous, les 50 vins de 2010 qui entrent dans la composition de l’indice Bordeaux 500 sont presque uniformément répartis en termes de hausse ou de baisse de prix depuis leur sortie sur le marché du Royaume-Uni.

En excluant les cinq Sauternes de l’indice Bordeaux 500, tous en baisse de plus de 40 %, on obtient une image légèrement plus positive ; les 45 vins restants présentant en effet une augmentation de prix moyenne de 4,4 %. Mais cette augmentation est-elle réellement suffisante pour justifier des frais d’assurance et de stockage engagés depuis la sortie de ces vins ?

Graphique 1 : Variation des prix de marché depuis la sortie ex-Londres

Market Price change since ex-London release

Tarification

Actuellement, 23 de ces 50 vins se vendent moins cher que lors de leur sortie à Londres en 2011. Comme on peut le constater sur le graphique 2 ci-dessous, les Premiers crus ont raté leur coup. Initialement élevés, les prix de Premiers crus ont tous chuté avec l’ensemble du marché, atteignant leur plus bas niveau en 2015 pour se stabiliser deux ans plus tard, toujours à un niveau bien en deçà de leur prix de sortie.

À l’autre bout du spectre, le Le Pin, sorti au prix de 18 000 £, soit un prix de sortie 9 % plus élevé qu’en 2009, a enregistré une excellente performance. Son prix a effectivement augmenté pour atteindre 34 000 £ en 2016, niveau auquel il continue de se négocier à ce jour.

Graphique 2 : Évolution du prix de marché moyen des Premiers crus depuis leur sortie

Les 4 seconds vins inclus dans l’indice Bordeaux 500 – Clarence Haut Brion, Carruades Lafite, Pavillon Rouge et Petit Mouton – n’ont pas été proposés à un prix aberrant lors de leur sortie. Eux aussi ont toutefois souffert de la baisse des prix enregistrée sur le marché à partir de la mi-2011, mais, contrairement aux Premiers crus, leurs prix se sont redressés depuis. Il aura ainsi fallu cinq ans à ces Seconds vins pour se remettre de leurs pertes. Aujourd’hui, comme le montre le graphique ci-dessous, leur prix de vente est en moyenne 20 % plus élevé que lors de leur sortie.

Graphique 3 : Évolution du prix de marché moyen des Seconds vins depuis leur sortie

Perspectives d’avenir

Jane Anson (Decanter) a déclaré dans son récent rapport au sujet du millésime 2010 vieilli de 10 ans : « Il est tellement évident que les vins de 2010 sont correctement structurés et destinés à bien vieillir, qu’il serait ridicule de ne pas recommander de s’en emparer. »

Sur les 61 vins dégustés, J. Anson a effectivement attribué à cinq reprises la note de 100 points, soit une fois de plus qu’en 2009, à deux reprises la note de 99 points et à cinq reprises la note de 98 points.

J. Anson a de plus expliqué que « bien qu’il n’y ait manifestement pas d’urgence à se procurer ces vins, la plupart étaient actuellement abordables ». Toutefois, maintenant que ces vins sont « accessibles », il faut s’attendre à ce que l’offre commence à s’épuiser et à ce que les prix suivent intrinsèquement une tendance à la hausse.

Le millésime 2010 a certainement encore une longue vie en bouteille devant lui, mais les prix des vins ne resteront pas éternellement stabilisés au niveau des prix qui étaient initialement demandés à Londres lors de leur sortie. 2019 pourrait même avoir marqué le début de la fin de cette période, puisque l’activité commerciale autour du millésime 2010 a augmenté l’année dernière pour faire de 2010 le troisième millésime le plus demandé, après 2009 et 2016. Au fur et à mesure que les différents critiques publieront leurs évaluations des vins vieillis de 10 ans, le millésime 2010 reviendra sur le devant de la scène, pendant que les yeux de tous resteront rivés sur les notes et, plus intensément encore, sur les prix.