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En Primeur est mort, Vive En Primeur

By May 27, 2014Francais

Dans ce blog – une extension d’un article paru ce mois-ci dans le rapport Cellar Watch sur le marché, nous discutons des avantages du système En Primeur, pourquoi ses campagnes récentes ont échoué et ce qu’il faut changer pour s’assurer que le système soit un succès.

Beaucoup de personnes dans le secteur du vin ont longtemps prédit la mort des Primeurs. Beaucoup diront que cette année le système est enfin mort. Les membres de Liv-ex –qui représentent la quasi-totalité du commerce mondial En Primeur – rapportent que les ventes sont tellement faibles qu’elles sont sans importance. Un marchand prédominant a vendu moins de 1% des vins En Primeur comparé à ses ventes pour le millésime 2009. Pour beaucoup, c’est la confirmation que le système ne fonctionne pas, mais comme pour la fin du règne de tout monarque, c’est temporaire. La dynastie demeure. Vive les Primeurs.

Comme le souligne Neal Martin dans son excellent article traitant des vins En Primeur 2013 et de ce système sur erobertparker.com : « Les media se sont accordés sur le fait que les campagnes primeur ne fonctionne pas. Ils avaient tort. Les Primeurs fonctionnent bien – mais seulement au juste prix. » De notre point de vue, le problème est plus conjoncturel que structurel. Bordeaux a toujours été enclin à des hauts et des bas démesurés, et les 10 dernières années ont été sans exception.

Comme le fait remarquer Michael Broadbent dans la préface du livre de Mahesh Kumar, Wine Investment for Portfolio Diversification, le marché à la hausse pour les rouges de Bordeaux dans les années 60 a vu les prix d’ouverture augmenter de façon spectaculaire de 11 000 francs par tonneau pour l’exceptionnel Lafite 1959 à 70 000 francs par tonneau pour le très pauvre millésime 1969. Les prix ont culminés lors d’une frénésie d’achat en 1972 (un mauvais millésime). L’effondrement qui en a résulté s’est empiré avec la crise pétrolière, une série de millésimes de faible qualité et les différents scandales de l’époque. Le marché ne s’en est pas vraiment remis avant le début des années 80. Comme l’a constaté dans son récent blog, Simon Berry – du marchand éponyme Berry Bros & Rudd–, il y a un parallèle à faire entre les années 70 et aujourd’hui.

Il y en a certainement beaucoup à Bordeaux (et ailleurs) qui considèrent que les châteaux ont tout le pouvoir dans la fixation des prix. Il n’y a pas d’autre choix que d’accepter l’octroi d’un stock chaque année en serrant les dents – quel que soit le prix – de peur d’en manquer la fois suivante. Beaucoup de propriétaires se sont aussi convaincus de cela, ils ont largement abusé du système d’allocation et maintenant pensent que leurs vins sont des marques de luxe. Comme le souligne Neal Martin, de nombreux châteaux, récemment créés, ont construit de vrais « palaces » pour le prouver. Ces sentiments nous apparaissent quelque peu arrogants à la suite de l’une des plus grosses bulles spéculatives sur le marché des vins fins. Comme cela a été prouvé dans les années 70, le pouvoir dans la fixation des prix est éphémère. Cela sera encore prouvé cette fois.

Comme le montre le graphique ci-dessous, depuis le millésime 2005 le marché des Primeurs a été soumis à une forte demande. A l’exception de 2008, lorsque l’économie mondiale était proche de l’effondrement, (comme calculé deux ans après la mise à disposition) les collectionneurs ont perdu de l’argent en achetant En Primeur. De plus, les marges commerciales – représentées sur le graphique par la différence entre les prix de sortie à l’export et ceux des ex-négociants – ont presque toutes disparu.

En Primeur - comparaisons des prix

Beaucoup de propriétaires de châteaux déclarent qu’ils veulent maintenir leurs prix élevés pour protéger la « marque ». Ça ne sonne pas très sincère lorsque deux ans après les prix pratiqués sur le marché pour ces mêmes vins sont fortement réduits.

Contrairement à l’achat d’un sac à main Louis Vuitton ou une paire de mocassins Gucci, l’achat En Primeurs est pour la plupart une transaction financière. Les grands Bordeaux, contrairement aux produits de luxe, n’ont pas besoin d’être acquis et consommés aujourd’hui. Il y a certains Crus Classes qui ne sont soit pas prêts à boire soit non-disponibles 10 années après leur prix de sortie. Le système En Primeur assure un financement peu cher aux châteaux en leur accordant la vente de leurs vins avant qu’ils ne soient livrables, ils peuvent ainsi financer le millésime suivant. En contrepartie, les marchands et collectionneurs se voient offrir des prix avantageux pour ces achats anticipés.

Par conséquent, la « valeur de la marque » des vins fins ne repose pas uniquement sur le fait de faire de grands vins mais aussi sur l’assurance que tous dans la chaine de distribution, du négociant au consommateur, bénéficient financièrement du système. Contrairement aux idées reçues (surtout parmi les propriétaires de châteaux), pratiquer des prix élevés ne protège pas la marque : cela la détruit. A la différence de Louis Vuitton ou Gucci (qui ont le contrôle total), les Châteaux ont une maitrise limitée de la qualité, du stock, de la distribution ou du prix. Malgré les ressources considérables dont disposent maintenant les châteaux, ils sont sous l’emprise de Mère Nature et du marché.

Alors que les propriétaires de châteaux se préparent à plier bagage et à se diriger vers la côte pour les vacances d’été, il leur apparaitra que le monde a changé. Comme l’a déclaré un négociant lors du dernier millésime, « nous ne pourrons pas être la banque des châteaux pour toujours ». Pour comprendre ce que cela signifie, il n’y a pas à aller chercher plus loin que les comptes publiés des principaux négociants de Bordeaux. Après que beaucoup d’acheteurs chinois aient annulé leurs commandes pour le très cher millésime 2010, les millésimes 2011, 2012 et maintenant 2013 n’ont pas réussi, non plus, à se vendre. Ainsi, Bordeaux se retrouve avec un immense stock d’invendus. Sur le bilan de beaucoup de négociants, le stock est plus important que le nombre de ventes. C’est manifestement une mauvaise affaire qui n’est pas viable surtout lorsque beaucoup de ces vins valent maintenant moins que le prix qu’ils ont payé auprès des châteaux pour les obtenir. Le graphique ci-dessous nous indique à quel point les marges, pour le négoce, ont presque disparu pour les Crus Classés invendus des trois derniers millésimes livrables.

Prix de la derniere transaction VS prix ex-chateaux

Néanmoins, malgré toutes ces mauvaises nouvelles, les Primeurs restent un système de génie. Bien qu’il ait ses défauts – quel système n’en a pas ? – il n’en existe pas d’autre avec un tel marketing et une telle distribution. C’est ce que jalouse le monde viticole. L’idée que les châteaux bordelais puissent vendre le fruit de leurs récoltes à des prix exorbitants avec un simple coup de téléphone deux ans avant la mise en bouteille (et plusieurs décennies avant que les vins soient prêts à boire dans certain cas), est au-delà des rêves les plus fous de tout vigneron partout ailleurs.

Nous pensons bien-entendu que le système En Primeur pourrait et sera amélioré, tels que la technologie et une plus grande transparence qui apportent plus d’éléments dans la fixation des prix, la dégustation d’échantillons et le risque (pour identifier trois des plus grandes faiblesses du système). Les Primeurs bénéficieraient probablement de la dissolution du système d’allocation de stock dont ils ont tant abusé. Toute chose qui rendrait les prix plus compétitifs et l’achat moins politique serait une bonne chose. Cependant, les campagnes En Primeur survivraient car c’est le meilleur système qui soit et qui fonctionnent sur le long-terme pour l’ensemble des parties-prenantes. De plus, comme la vague de prospérité vire à l’effondrement, et que les ressources deviennent plus rares, les Primeurs semblent devenir une plus grande (et non pas plus petite) source de financement pour Bordeaux. Pour les acheteurs avec une bonne trésorerie, cela pourrait être – comme ça l’a été dans la deuxième moitié des années 70 – l’âge d’or.